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Allergies alimentaires chez l'enfant : questions-réponses avec le Dr Moraly, allergologue

le 30/09/2025

Les allergies alimentaires touchent de plus en plus d'enfants en France. 8 % des enfants de moins de 15 ans sont aujourd'hui concernés par une allergie alimentaire, un chiffre en constante augmentation depuis les années 1970. Pour comprendre ce phénomène croissant et apprendre à mieux gérer les allergies au quotidien, nous avons interrogé le Dr Tomas Moraly, allergologue à l'Hôpital privé La Louvière à Lille (Ramsay Santé).

Pourquoi les allergies alimentaires sont-elles de plus en plus fréquentes, notamment chez les enfants ?

Dr Tomas Moraly : Cette augmentation s'explique par plusieurs facteurs.

Tout d'abord, nous changeons très rapidement nos régimes alimentaires par rapport aux générations précédentes. Par exemple, l'essor des régimes végétariens et végétaliens a considérablement augmenté notre consommation de légumineuses, multipliant par trois ou quatre leur présence dans notre alimentation ces dernières années. Or, tout changement alimentaire brutal peut perturber le système immunitaire et favoriser l'apparition d'allergies.

Cette évolution coïncide également avec l'augmentation générale de toutes les allergies. Il existe ce qu'on appelle "la marche de l'atopie" : une progression des manifestations allergiques qui suivent souvent un ordre précis— eczéma, asthme, allergies alimentaires.

Le troisième facteur concerne l'appauvrissement de notre microbiote intestinal. Ce dernier est moins diversifié qu'auparavant en raison surtout de l'utilisation d'antibiotiques et de la stérilisation excessive de notre environnement. Cette dégradation entraine une « non-tolérance » peut favoriser le développement d'allergies alimentaires.

Enfin, certaines allergies alimentaires sont secondaires à des allergies respiratoires. Le pollen de bouleau, par exemple, a une structure moléculaire très similaire à celle de certains fruits et légumes. Le système immunitaire ne fait pas la différence et réagit alors de la même façon à ces protéines alimentaires. On devient donc allergique alimentaire via une allergie croisée à un pollen.

Quels sont les principaux allergènes selon l'âge de l'enfant ?

Avant l'âge d'un an, les principaux allergènes sont le lait de vache et l'œuf. 

Après un an, le spectre s'élargit considérablement. L'arachide reste un allergène très préoccupant, particulièrement fréquent dans les pays anglo-saxons. En France, nous observons beaucoup d'allergies aux fruits à coque (noix, noisettes, amandes) et une augmentation notable des allergies aux légumineuses, en lien avec les évolutions de nos habitudes alimentaires.

Comment reconnaître une allergie alimentaire chez son enfant ?

Il existe deux types principaux d'allergies alimentaires, avec des manifestations très différentes.

L'allergie immédiate est la forme la plus typique. Les symptômes apparaissent immédiatement jusque dans les deux heures suivant la consommation de l'allergène. On observe d'abord des réactions dans la bouche lors de la mastication, puis si l'aliment est assimilé : urticaire, gonflement (œdème), symptômes respiratoires, troubles digestifs comme des douleurs abdominales ou vomissements. Dans les cas les plus graves, la réaction peut évoluer vers un œdème de Quincke ou un choc anaphylactique.

L'allergie retardée, souvent semblable à l'intolérance alimentaire, se manifeste différemment. Elle concerne principalement les protéines de lait de vache. Les symptômes apparaissent dans les jours suivant la consommation et sont uniquement digestifs. Chez le nourrisson, on observe généralement coliques, reflux gastrique ainsi que des pleurs importants et des troubles du sommeil, ce qui peut conduire à la cassure de la courbe de poids et de taille.

Quels sont les signes d'urgence et comment réagir ?

Trois situations constituent des réactions allergiques graves :

  • L'œdème de Quincke : gonflement de la gorge et de la trachée rendant la respiration difficile, avec hypersalivation par le blocage de l’œsophage et modification ou disparition de la voix due au gonflement des cordes vocales
  • Le choc anaphylactique : la réaction allergique est telle qu’elle provoque un emballement cardiaque une chute de tension et une perte de connaissance
  • L'atteinte simultanée de deux sites différents (par exemple, réactions cutanées ET digestives), car cela indique un risque de généralisation

Dès lors qu'une allergie alimentaire est diagnostiquée, l'enfant doit toujours avoir avec lui une trousse de secours contenant de l'adrénaline. En cas de réaction grave, il faut immédiatement administrer l'injection d'adrénaline par voie intramusculaire, puis appeler le 15. 

Comment établit-on le diagnostic d'allergie alimentaire ?

Le diagnostic repose sur trois éléments complémentaires : l'histoire clinique détaillée, les tests cutanés (prick-tests) et la prise de sang. Cette dernière permet de rechercher les anticorps spécifiques contre l'aliment et, plus précisément, contre certaines protéines de cet aliment. Ces analyses nous donnent des indications précieuses sur la sévérité potentielle de l'allergie et nous renseignent sur la possibilité de consommer l'aliment sous forme cuite ou transformée.

Il est essentiel de consulter dès que possible en cas de suspicion. Les pédiatres ou médecins traitants peuvent mentionner « suspicion d'allergie grave » sur leur courrier d'adressage, ce qui permet un rendez-vous rapide chez l'allergologue.

Quelles sont les options de traitement disponibles ?

Une fois le diagnostic posé, plusieurs stratégies sont possibles. Dans les centres spécialisés, nous proposons des ITO (Inductions de Tolérance Orale), l'équivalent d'une désensibilisation pour les allergies alimentaires. L'enfant est hospitalisé une journée et consomme l'allergène de façon progressivement croissante sous surveillance médicale. Une fois le seuil de réaction déterminé, un protocole personnalisé est mis en place à domicile avec des quantités prédéfinies d'aliments industriels.

En médecine de ville, la plupart des allergologues optent pour l'éviction totale de l'allergène, accompagnée d'une éducation thérapeutique approfondie sur la lecture des étiquettes pour éviter toute consommation accidentelle.

Comment gérer le quotidien à la maison et en collectivité ?

En collectivité (crèches, écoles, etc.), il est indispensable de mettre en place un PAI (Projet d'Accueil Individualisé). Ce document établit le cadre légal permettant à l'établissement d'éviter de donner l'allergène à l'enfant et précise où déposer la trousse d'urgence ainsi que le plan d'action à suivre selon les symptômes observés en cas d’ingestion.

À domicile, la gestion repose principalement sur une lecture attentive des étiquettes alimentaires. La réglementation INCO européenne impose que les 14 allergènes à déclaration obligatoire soient clairement identifiés en gras sur l'étiquetage des produits, facilitant ainsi leur repérage.

L'aspect psychologique ne doit pas être négligé : il est essentiel de ne pas dramatiser la situation pour éviter que l'enfant développe des phobies alimentaires, des troubles de l'oralité ou des troubles du comportement alimentaire. Une approche mesurée permet de rester vigilant sans transformer chaque repas en source d'anxiété pour l’enfant.